La maison évolutive

La maison évolutive

Dans une conjoncture de plus en plus difficile pour l'accession à la propriété (hausse des matériaux, hausse des taux bancaires, évolution de la règlementation thermique, etc...) la maison évolutive pourrait être la solution pour répondre aux besoins des primo-accédants.

Publication de Arnaud Perrigault

Ses origines


Si de nos jours le concept d’une maison qui s’adapte à l’évolution de la famille peut paraître comme une innovation il faut se rappeler que l’habitat vernaculaire aussi bien individuel que collectif a presque toujours été évolutif.

 

Différentes études anthropologiques réalisées en la matière permettent de mettre à jour  cette évidence et les raisons qui ont conduits un continent ou l’autre à créer, développer, supprimer ou bien ignorer ce concept d’habitat au cours de son histoire.

 

Bien sur chaque continent, chaque civilisation, à développer son habitat avec son propre savoir-faire et son environnement, les tentes arabes sont différente des yourtes mongoles et les habitations africaines ne ressemblent pas aux habitations amazoniennes,  mais pratiquement toutes avaient comme idée de départ de créer un habitat évolutif, exception faite pour les lieux de culte qui devait être en construction dure pour braver le temps et les catastrophes.

 

Chaque culture a influencé sa vision de l’habitat, je vais pour cela prendre un exemple et un contre-exemple emblématiques afin de poser toute la dimension du concept évolutif : La minka et la ferme européenne.

« Exemple de la minka »

La minka est la maison traditionnelle du Japon et existe sous deux variantes:

- la noka présente dans les zones rurales est utilisée comme habitation et ferme ;

- la machiya présente dans les zones urbaines est utilisée comme habitation et atelier.


Outre la particularité de lier la vie personnelle et l’activité professionnelle dans le même habitat, la minka est par principe la maison évolutive par excellence.


Tout d’abord le choix de ses matériaux (murs de torchis sur ossature en bambous avec une toiture en chaume ou tuiles), font que l’enveloppe extérieure est facilement modulable et propice aux extensions.

Ensuite, le volume intérieur se prête particulièrement aux transformations par un mobilier réduit au strict minimum et de grands volumes séparés par des cloisons amovibles qui peuvent être positionné et repositionné à volonté selon les désirs des habitants.



Les plans ne sont pas figés, il n’y a aucune contrainte la maison s’adapte aux occupants et non l’inverse.

« Exemple de la ferme européenne »

Ce qui caractérise une ferme européenne par rapport à une ferme américaine est que la première est construite dès l’origine avec la plus grande superficie possible et que l’intérieur parfois non finalisé était laissé tel quel pour les générations suivantes.


La ferme américaine est quant à elle construite à l’échelle de ses habitants et s’agrandira ou se réduira avec les prochaines générations.

L’européen a historiquement dans son inconscient l’idée de construire d’une manière solide et durable à l’image de ses forteresses, alors que l’américain a depuis ces origines l’esprit du « do it yourself » (le faire par soi-même),  à l’image des maisons qui ont été construites par les pionniers.

 

L’héritage de notre passé continue à influencer les constructions actuelles. La mondialisation, l’accroissement de la population et les enjeux écologiques mènent à penser que certaines populations devront évoluer et s’affranchir  de certains acquis même si ces derniers font partie intégrante de leur identité.


Aujourd’hui à l’échelle de la planète les constructions restent majoritairement évolutives.

Ses débuts en Europe


Maison de Mme Schroeder

L’idée du logement évolutif a pris son ampleur en Europe en 1924 avec la maison de l’architecte Gerrit Rietveld qu’il a construite en Hollande pour son amie Schröder.

 

Son évolutivité a été reconnue par la flexibilité de son intérieur grâce aux jeux de cloisons coulissantes qui permettaient de répondre à l’évolution du mode de vie de Mme Schröder  et de ses enfants.

 

Encore aujourd’hui elle est pour le monde de l’architecture un manifeste de modernité et d’idéal en soi. En 2000, elle a été inscrite dans la liste du patrimoine de l’UNESCO.

Logements de la Weissenhofsiedlung à Stuttgart

En 1927, un quartier entier de logement évolutif nommé la Weissenhofsiedlung a été construit en Allemagne où 16 architectes venant des quatre coins de l’europe fut invités à réaliser leur vision de l’habitation familiale urbaine.


Là aussi le principe des cloisons amovibles a été utilisé (ou recopié) mais à l’échelle de logement groupé.

Son oubli


L’arrivée de la seconde guerre mondiale stoppera les réflexions sur les constructions évolutives.

 

La période d’après-guerre marquera le secteur du bâtiment par une forte pénurie de mains d’œuvre qualifiée au profit des autres industries (automobile, aviation, etc…). Dans cette conjoncture, le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme a vu le béton armé comme le nouveau matériau de référence pour le gros-œuvre et à décider par le biais de différentes mesures de privilégier cette industrie pour la reconstruction du pays.



Cela aura pour effet pervers de rigidifier l’architecture des bâtiments et de poser de véritable contrainte à toute évolution des bâtiments.

 

En 1973, les taux d’inflation des pays capitalistes atteignent des sommets, la production tombe, le chômage grimpe, la croissance devient négative, les revenus baisses.

 

En 1974 c’est la grande crise, les jeunes ménages n’ont plus accès à la propriété, cela marquera le début d’une réflexion nouvelle. L’idée de construction évolutive est de retours dans les esprits.

Son retour programmé


L'amorce de 1974

C’est dans une conjoncture de crise économique majeure où la hausse des prix des hydrocarbures explose que le gouvernement va devoir créer la première réglementation thermique, la RT 1974. Elle aura pour objectif de réduire à l’époque de 25% la consommation énergétique des bâtiments par rapport aux normes des années 1950.


Cette nouvelle contrainte sur les bâtiments neufs va amener le gouvernement à rechercher de nouvelles mesures afin de relancer l’industrie du bâtiment et en particulier à faciliter l’accès à la propriété des jeunes ménages qui se retrouvent exclus de ce marché dû à la très forte hausse des prix. Pour information de 1973 à 1975 le prix au mètre carré dans le neuf avait augmenté de 44% en moyenne. Dans celui du secteur des HLM accession qui était essentiellement constitué de logements individuels la hausse a été de 58%.

C’est dans cet optique que la construction de maisons évolutive va refaire surface et que de nombreuses études et concours vont être mis en place afin de rechercher « le produit miracle » qui répondra aux attentes des familles et des impératifs économiques.

Le projet l'HAUTIL

En 1976 dans le cadre de la réalisation de la ville nouvelle de Cergy Pontoise les pouvoirs publics français ont commandités la réalisation de 2500 maisons évolutives.


Organiser dans le cadre d’un concours il a été demandé aux architectes et promoteurs candidats de créer des maisons de ville à l’image d’un petit village et de permettre au futurs propriétaires d’agrandir leur maison de 50% par rapport à la superficie initiale.


Afin d’établir un bilan sur le concept de la maison évolutive une enquête fut réalisée en 1980 qui donne des résultats assez surprenant. Durant la période du concours tous les projets respectaient les directives publiques alors qu’au moment de la réalisation la quasi-totalité des espaces prévus pour les futurs aménagements avaient disparus.


Les impératifs économiques de la construction ont conduits les promoteurs et entreprises du bâtiment à modifier les projets. Les arguments suivants ont été évoqués :

- entre le choix d’entrer dans une petite maison livrée clé en main ou d’entrer dans une grande maison inachevé les clients avaient optés pour la première solution ;

- le projet de maison évolutive était invendable dû au contraintes techniques et financières.



Quelques projets évolutifs ont quand même vu le jour comme des caves semi-enterrée qui ont été transformées par la suite en pièces habitables.


La notion d’extension a dû être interprétée différemment selon les professionnels et les réalités économiques.

Le concours "Maisons agrandissables pour jeunes ménages"

C’est aussi en 1976 que l’administration organisera ce concours sur l’habitat évolutif afin de répondre au problème de l’exclusion des jeunes du marché de la maison individuelle dû à la crise économique de 1974.

On peut d’ailleurs remarquer que la conjoncture de l’époque est terriblement ressemblante à celle d’aujourd’hui, d’où l’intérêt de porter un œil attentif au recherches réalisées, aux solutions proposées et aux éventuelles erreurs qui ont été faites.


Ce concours a permis d’aborder l’agrandissement de la superficie habitable sous trois angles différents :

- Le grand volume qui est l’agrandissement par l’intérieur d’une grande maison dont une partie n’a pas été aménagée au départ (combles, etc…)

- La structure apparente qui est l’agrandissement d’un volume initial par l’utilisation d’une structure extérieure en attente d’être aménagée ou finalisée (carport, etc…)

- La base et l’agrandissement extérieur qui est l’extension d’un petit volume initial par la greffe d’autres volumes complémentaires (modules, etc…).


Les réponses du concours ont mises à jour des solutions raisonnables, peu ambitieuses mais qui répondaient à un impératif de coût maîtrisé et en adéquation avec les ambitions des jeunes ménages.

Il a été aussi reconnu que ce type de projet s’adressait à une clientèle jeune jugée à l’époque comme non conformiste et qui tentait de s’affranchir des constructions classiques.


Si on tente une comparaison avec le contexte actuel, on peut estimer que ces jeunes dit « peu conventionnels », représentent en fait aujourd’hui une grande partie du marché actuel qui ne se retrouve plus dans ces pavillons qui ont fleuris ces dernières décennies partout en France et qui sont devenus sans identité. Comme nous l’avons vu précédemment, le marketing de masse a laissé place à une offre personnalisée.

 

Il faut aussi retenir de ce concours la déclaration de l’un des lauréats qui est d’une simplicité apparente mais qui a le mérite de poser un vrai problème sociologique et psychologique qui faut résoudre avant de pouvoir faire la promotion de la maison évolutive : « lorsqu’on achète une maison agrandissable, on achète le droit d’être ambitieux, et on est condamné à réussir ».

 

Dans un tout autre contexte, la même année l’architecte Ricardo Bofill déclara : « Le logement idéal n’existe qu’en rêve et on ne peut en effet rêver d’un espace vivant et complexe qui réunirait les qualités de la tanière, de la « minka » japonaise et du « home » anglais, trois modes d’habitat animal parfaitement conséquents, surtout le second, où l’espace est modulable et indéfini, qui se plie aux usages de la quotidienneté et permettent une grande diversité des comportements ».

 

On comprend alors que la maison évolutive a déjà été un sujet de société qui est apparu la dernière fois au moment d’une crise économique et qu’il n’a jamais réussi à prendre sa place dans la société française.

 

La solution parfaite d’un point de technique et sociologique n’a jamais été trouvé. Je vais à ce propos ouvrir une dernière parenthèse afin confirmer cette vision de réussite technique mais d’échec social et psychologique.

En 1985, une enquête auprès de jeunes couples mariés commandité par la Direction de la Construction a montré l’ambivalence du concept de la maison évolutive.

En point positif il a été cité une maison moderne, adaptée aux loisirs et représentant une réussite personnelle et familiale.

En négatif, il a été cité une image de maison non finie dû à des moyens financiers limités et à l’impossibilité de réaliser ses rêves.

 

Par ces différentes expériences du passé, nous avons pu prendre conscience de l’enjeu sociologique, économique et psychique de la maison évolutive.

Une conjoncture propice


L’histoire de l’urbanisme montre une répétition de crise de l’habitat ou les nouvelles constructions ont très souvent pris le chemin d’une recherche urgente de solutions aux crises. Nous sommes confrontés aujourd’hui à cette même situation.

 

La conjoncture actuelle même si elle n’a pas les mêmes origines à celle de 1974, nous oblige à nous poser les mêmes questions et à rechercher les solutions les plus adéquates.

 

Les jeunes ménages sont à nouveau exclus de l’accès à la propriété. Nous sommes qu’au tout début de cette conjoncture et nous n’en connaissons pas la durée.

 

Est-ce pour autant le retour de la maison évolutive ?

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